après le déchainement de violence...
Jeudi 13 juillet 2023
« Mes chers amis,
Alors que le calme semble revenir, sonne l’heure des comptes. D’après le ministère de la Justice, environ 3700 personnes ont été placées en garde à vue dans le cadre des émeutes, pillages et autres scènes de violence faisant suite à la mort du jeune Nahel.
Un tiers de ces arrestations concerne des mineurs. Le plus jeune interpellé serait âgé de 11 ans !
Selon nous, ce sont là les symptômes d’un mal aux racines profondes.
Pour nous accompagner dans notre réflexion et évaluer la pertinence de nos actions, dès 2020, nous avons mis en place un Conseil Scientifique présidé par le sociologue Michel Wieviorka : c’est l’Observatoire Imagine.
Il y a quelques jours, j’ai pris connaissance d’une Tribune publiée dans le Monde par l’un des membres de cet observatoire.
Roger-François Gauthier est Inspecteur général honoraire de l’éducation nationale et de la Recherche, et en tant qu’expert international en matière de politiques éducatives, il jette un éclairage singulier sur ces problématiques.
Il ose poser la question du sens des savoirs. Dans quel but transmettons-nous telle ou telle connaissance ?
Et je m’émerveille de voir couchée sur papier une vision ambitieuse de l’école de France. Une école qui joue pleinement son rôle d’instruction, à savoir transmettre des savoirs, mais dans un but ultime, celui de l’apprentissage de la vie, de l’apprentissage de la liberté.
« L’ordre, le calme et la concorde » ne se décrètent pas… Ils ne pourront s’obtenir qu’au prix d’une mobilisation générale. D’où l’intérêt de nourrir nos esprits d’idées brillantes, humanistes et audacieuses.
Pour la peine, Roger-François Gauthier a rédigé quelques lignes mettant en exergue les spécificités du Programme Écoles Imagine. Qu’il en soit remercié. »
Frédérique Bedos
Violences et désespoirs chez des enfants : et si le « Programme Écoles Imagine » ne traitait en fait de rien d’autre !
Une jeunesse violente ?
Une société dont la violence s’est banalisée parmi ses enfants n’a-t-elle pas franchi le seuil de l’intolérable vis-à-vis d’elle-même ?
Les jeunes des pays voisins, même s’ils ne sont pas plus épargnés qu’en France par ce qui pourrait apparaitre comme l’origine des troubles, avec des phénomènes similaires, de perte de sens devant l’écroulement de repères antérieurs, avec les effets en écho des diverses « mondialisations », avec l’exposition effrénée au culte de l’argent, au harcèlement publicitaire comme aux réseaux sociaux, n’entrent pas dans des embrasements, des haines et des désespoirs semblables aux juvéniles incendies français.
La part de l’École
Dans une récente tribune du Monde[1] nous avons posé la question de la responsabilité de l’École dans les troubles, en nous étonnant qu’elle ne soit pas plus souvent évoquée.
Car on sait si bien, et depuis si longtemps, que la France est, des pays qui lui sont comparables, selon les enquêtes internationales de l’OCDE, celle où l’École parvient le moins à contrebalancer les inégalités majeures des conditions sociales. Tandis que la plupart des pays équivalents ont réalisé diverses formes de « massification » scolaire dans la seconde moitié du XXème siècle, la France n’a pas réussi la démocratisation de son École, au double sens de se construire comme « plus juste » et de fortifier les conditions de la démocratie.
Dans un article récent publié dans AOC, nous voyions dans tout cela « une sinistre fracture entre les jeunesses et un risque majeur d’explosion sociale face à de révoltantes injustices »[2].
Mettons-nous à la place des jeunes élèves venant des couches les moins favorisées socialement confrontées à cette École-là. Ils ont fort bien compris que l’École où ils sont, malgré les efforts de bien des professionnels qui s’adressent à eux, est un jeu de dupes, « les assignant à résidence dans un certain type d’études et de destin ». Comme ils le sont dans un certain type de quartier. Ce qu’on doit voir, c’est que l’École de France n’est pas ainsi « par hasard », mais en raison d’un certain nombre de facteurs qui tiennent à sa structure, à son organisation et à sa conception des savoirs scolaires, facteurs qui sont assez rapidement clairs à ceux qui veulent les analyser[3].
Changer l’éducation et sortir de nos égoïsmes ?
La question qui se pose est donc tout simplement, si on ose écrire, celle du changement dans un domaine, l’éducation, qui y est en général plutôt réfractaire. Mais il faut le répéter : la situation de la jeunesse est injuste et dangereuse, c’est ce que l’actualité nous fait voir ! Souhaitons-nous ne rien faire ? Allons-nous tous continuer à défendre un état rêvé de l’École qui ne convient plus, même s’il ravit nos entre-soi égoïstes ? Allons-nous continuer de considérer qu’il suffit de renforcer le « lire-écrire-compter », de répéter comme un mantra les « valeurs de la République » et de réformer les épreuves du baccalauréat ?
L’École a la responsabilité d’éduquer ses élèves en donnant à tous les bons repères dans la complexité du monde. Et doit veiller à n’en priver aucun d’aucun savoir comme les élèves des lycées professionnels qu’on prive de philosophie, puisqu’il est évident qu’ils n’ont pas à réfléchir et n’en sont peut-être pas capables !
Sortir de nos égoïsmes ce serait vraiment accepter, comme c’est le cas chez nombre de nos voisins, que l’École n’éjecte personne vers des voies par défaut, comme c’est souvent le cas de la voie professionnelle en France : à la fois parce que (Italie) les élèves ont la liberté de faire les études qu’ils veulent et parce que le retour au « général » à l’issue de ces filières est (Allemagne, Italie) bien plus facile qu’en France. Sortir de nos égoïsmes ce serait accepter que l’Ecole opère un aggiornamento total des savoirs qu’elle enseigne, de leur hiérarchie terrible, qui condamne certains talents, de leur arrangement en disciplines héritées, mais plus encore de l’importance excessive accordée à l’évaluation des élèves, et à l’instruction par rapport à une mission bien plus importante, couvrante, et tournée vers l’action et la responsabilité qui est celle d’éducation. On voit bien qu’il s’agit de prendre enfin le problème à la racine.
On ne peut pas ne pas penser par exemple ici au regrettable mais ancien échec de ce qu’on appelle l’éducation civique ! Qui a interrogé la responsabilité de cet enseignement quand un pourcentage si important des jeunes ne va pas voter ? Ne sait pas aborder les questions vives de notre monde sans passer trop souvent à de pseudo-solutions violentes ou extrêmes ? Questions déplacées ? Nous ne le croyons pas !
Le Programme Écoles Imagine, précurseur
Le lecteur se demande sans doute ce que ce ton tribunicien vient faire dans la Newsletter du Projet Imagine. Or précisément le lien nous semble clair : ce que le Programme Écoles Imagine contient, c’est la préoccupation pour développer chez les élèves la culture du débat, leur capacité à agir, l’intérêt pour les talents de chaque élève comme personne irremplaçable et non comme élève à classer, le choix d’intégrer les familles aux discussions sur l’École, l’objectif de considérer qu’ « enseigner les relations » fait partie du métier de l’École, afin de les clarifier, les situer et les pacifier, c’est l’idée que nos élèves vont à l’École pour apprendre à agir et non à subir. Voilà tout ce qui au fond dresse certes le programme courageux d’une ONG, mais contient aussi en germe le premier portrait d’une autre École, à faire advenir.
Ce qui nous plaît encore plus dans ces programmes, et dont les metteurs en scène ne perçoivent peut-être pas tout l’aspect inédit dans le paysage éducatif français, c’est lorsqu’ils interrogent les élèves sur les « effets » qu’ont produit sur eux les apprentissages suivis : non pas les « résultats », mais les « effets » ! « Ce que tu as appris là -en histoire, en physique, en maths, peu importe-, quel effet cela a-t-il eu sur toi, sur ta culture, sur ton rapport au monde ? ». Poser ce type de question, c’est tout simplement mettre les personnes, dans leur richesse et leur complexité, avant le simple suivi des programmes disciplinaires. C’est une révolution !
Cela dit, quand les acteurs du Projet Imagine décrivent ce qu’ils/elles font, ils/elles mettent facilement aussi en avant que leur démarche est une goutte d’eau dans l’océan des fonctionnements quotidiens de l’École en France, et que le jeu institutionnel vient souvent montrer sa puissance contraignante et certains personnels leur résistance, fort compréhensible, à ce qui serait un changement complet de paradigme. Dans les pays qui se lancèrent dans cette entreprise, il fallut trois ingrédients : du temps, de la bonne foi chez les acteurs, et une solide résolution politique pour changer l’École. Les Français sont-ils capables de tresser cela ? Nous l’espérons !
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